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Bilan économique 2024 de la ferme 54 : les enseignements des chocs inédits

De g. à d. : Florian Boyer (élevage viande) ; Jean-Marc Zsitko (élevage lait) ; Julien Basuyaux (grandes cultures) et Laurent Keller (élevage ovin). Photo : JL.Masson
De g. à d. : Florian Boyer (élevage viande) ; Jean-Marc Zsitko (élevage lait) ; Julien Basuyaux (grandes cultures) et Laurent Keller (élevage ovin). Photo : JL.Masson

Au sortir d’une campagne 2024 atypique, marquée par une pluviosité hors du commun et la résurgence de la FCO, la Chambre d’agriculture a travaillé sur des prévisions de revenus. Pour garder le cap, il s’agira demain d’adapter rapidement ses pratiques à un environnement instables. Focus.

Lors de la session de la Chambre départementale d’agriculture du 25 novembre, une étude a été présentée sur les prévisions de revenu 2024, au sortir d’une année de « chocs inédits ». Quatre conseillers spécialisés ont établi des simulations, à partir d’éléments de conjoncture économique appliqués sur des exploitations types.

L’EBE bas continue à baisser

Jean-Marc Zsitko, spécialiste en élevage laitier, résume les caractéristiques de la campagne. Des récoltes en herbe conséquentes, mais de piètre qualité, à l’exception de la luzerne qui compense sur les deuxième et troisième coupes le maigre rendement de la première. A l’automne, le rendu de l’ensilage de maïs s’avère plutôt satisfaisant eu-égard aux conditions d’implantation tardives. Concernant la moisson, la pluviométrie incessante a perturbé les semis et les interventions, avant de multiplier les maladies. La faiblesse de l’ensoleillement a encore accentué la baisse du rendement et du poids spécifique. Seule exception, le colza affiche des performances supérieures à la moyenne.

Pour mesurer les résultats prévisionnels des exploitations laitières, Jean-Marc Zsitko a observé un prix du lait, certes en dessous de 2023, mais supérieur à la moyenne des cinq années précédentes (456 €/1.000l). A 4,15 €/kg, la viande de réforme se situe également dans une fourchette haute. Les charges, elles aussi, demeurent élevées, tant pour le coût de l’aliment VL que celui des engrais. Le conseiller élevage lait entre dans le détail des chiffres pour deux systèmes d’exploitation distincts : une ferme laitière spécialisée, avec des céréales, deux associés avec un robot ; et une autre, avec un atelier viande complémentaire, trois associés et un roto traite. Dans les deux cas, l’excédent brut d’exploitation (EBE)  reste à un niveau bas ou continue à baisser, par rapport à la référence historique de 2022 (- 19 à - 22 %). L’impact de la FCO commence à se faire sentir sur la valorisation du produit viande et il faut compter des frais vétérinaires en surcroit. Plus la part céréalière est importante, plus l’EBE « est chahuté ». Les systèmes herbagers observent une plus grande stabilité.

Revenu disponible d’autant plus impacté

Dans le domaine des grandes cultures, Julien Basuyaux s’est penché sur une exploitation céréalière type de 192 ha avec 1,2 UMO. Des rendements moyens et un prix de vente inférieur à 2023, aggravés par une réfaction sur la qualité, conduisent à une baisse de 7 % de l’EBE par rapport à 2023 et de 15 % sur la moyenne 2015-2020. Si les charges opérationnelles ont diminué grâce aux engrais, ce n’est pas le cas des charges de structure, en dépit de la baisse du GNR. A noter qu’il n’est pas tenu compte de la hausse des emprunts liés aux investissements. L’EBE 2024 se situe en-dessous de la moyenne 2015-2020. De très fortes disparités surgissent entre fermes. Les sols superficiels, en retrait les dernières années marquées par la sécheresse, ont mieux résisté en 2024, où les sols argileux profond ont été victimes de l’excès d’eau.

Même les exploitants sérieux sont angoissés

En viande bovine, Florian Boyer a constaté des prix favorables à «des niveaux jamais atteints » et des charges en baisse, mais qui restent élevées. Que le système soit herbager « spécialisé viande » (160 ha, 1,5 UMO, peu fréquent en Meurthe-et-Moselle) ; polyculture-élevage viande (140 ha, 1,3 UMO) ou GAEC polyculture naisseur-engraisseur (280 ha, 2 UMO), l’EBE subit un infléchissement de 3 à 6 % par rapport à 2023. La baisse est beaucoup plus marquée par rapport à l’exercice 2022 record : - 54 % en polyculture-élevage viande ; - 35 % en naisseur-engraisseur.

Globalement les produits sont en retrait malgré des cours soutenus. La part des céréales impacte grandement les résultats. Les coûts amoindris de l’aliment et des engrais sont contrebalancés par des frais vétérinaires dus à la FCO et par l’achat de concentrés pour compenser la moindre qualité des fourrages, du fait de la pluviosité durable. L’inflation a pesé sur les charges de structure et les cotisations sociales sont montées en puissance, conséquences des très bons résultats de 2022. Lesquels ont généré des investissements sur certaines exploitations qui entraînent des annuités majorées en 2024. « Le revenu disponible en est d’autant plus impacté » conclut Florian Boyer.

Ce qui a frappé Jean-Marc Zsitko, à la lecture de la centaine de comptabilités qu’il a dépouillée,  c’est que « les disponibilités diminuent plus encore que l’EBE. Deux sur dix arrivent à équilibrer leur budget, pas les autres. Nous vivons une période très critique, avec des situations très tendues, pour certaines nécessitant le passage en cellule REAGIR,  indique-t-il. Même des exploitants sérieux sont angoissés aujourd’hui ».

Adapter rapidement ses pratiques :

L’évolution climatique et la situation sanitaire constituent les principales craintes pour la ferme Meurthe-et-Moselle, considère Damien Luc, le chef du service économie-élevage de la Chambre d’agriculture. Quelques lueurs d’espoir tout de même avec des prix de vente qui se maintiennent à des niveaux corrects et des charges en retrait. Si la période prochaine s’annonce « tumultueuse », les exploitations disposant d’un atelier d’élevage bénéficient d’une « perspective favorable ».

L’accompagnement par les conseillers spécialisés trouve toute sa place dans ce cadre. Pour garder le cap, Damien Luc suggère de mesurer les effets cultures et productions animales sur ses marges de trésorerie, de projeter ses besoins de trésorerie à 12-24 mois, d’échanger avec ses partenaires, et en tout état de cause de « raisonner ses dépenses pour 2025 ». Sa collègue Corinne Revest, responsable du service agronomie-environnement, s’interroge de savoir si suffisamment de conclusions ont été tirées après 2016, autre année horribilis pour les céréales.

« Si l’agriculteur n’est pas responsable des aléas, le chef d’entreprise doit prendre des décisions de gestion engageantes », estime-t-elle, avant d’enjoindre à une adaptation des pratiques à un environnement instable. Cela signifie plus d’anticipation et d’outils de pilotage et de partage ; faire évoluer son système face à la variabilité climatique ; raisonner marges et coûts ; raisonner investissements et financements avec des EBE minimum et  « sortir du raisonnement moins de MSA et d’impôts ». Les réunions d’automne de gestion de parcelles, des réseaux ou des groupes se prêtent à l’exercice. Et à l’échelon individuel, il s’agit de ne pas rester isolé, de s’informer, échanger avec ses partenaires et poser un diagnostic.