Comment se prennent les décisions au niveau européen ? Pourquoi ce décalage entre la réalité perçue par les citoyens et la gouvernance des Vingt-sept ? Quels enjeux pour le prochain scrutin en juin 2024 ? Les questions posées à Christiane Lambert ont nourri un débat souvent empreint de défiance.
C’est son second mandat au sein du Comité des organisations professionnelles agricoles européennes (Copa). Christiane Lambert préside cette institution, qui assure la défense des intérêts de la profession agricole. Le Copa a la réputation d’être l’une des organisations de lobbying les plus importantes et les plus actives à Bruxelles.
De cet engagement, Christiane Lambert a tiré plusieurs enseignements. Le premier, «trop peu connaissent le processus d’élaboration des règlements et directives au niveau européen». Et elle y voit «une part essentielle de l’incompréhension des orientations politiques» comme «des décisions prises» à Bruxelles et Strasbourg.
Un cadre législatif
L’évocation du processus décisionnel de l’UE renvoie spontanément, et par analogie au fonctionnement national du cadre législatif, au Parlement européen. C’est l’instance de représentation des citoyens de l’Union européenne. Mais pour ce qui est de l’élaboration de la législation européenne, tout passe d’abord par la Commission. Elle regroupe vingt-sept commissaires, tous désignés pour le temps d’une mandature.
«La Commission est la seule institution ayant le pouvoir de proposition juridique», rappelle Christiane Lambert, avant de dérouler le processus qui associera le Parlement européen et le Conseil des ministres dans un dialogue à trois «les trilogues». Les trois principales institutions de l’UE devront alors parvenir à un accord sur la législation proposée par la Commission. Si cette dernière estime que les modifications altèrent de manière excessive la proposition initiale, elle a le droit de retirer son projet.
Le commissaire en charge de l’agriculture joue donc un rôle clef dans ce mode de fonctionnement.
Des priorités
Dans la fonction de direction politique de la Commission (pour le mandat de cinq ans débuté en 2019), les commissaires travaillent autour de six priorités dont «Le pacte vert pour l’Europe». Une stratégie où l’Union entend être «le premier continent neutre sur le plan climatique» en devenant une économie efficace dans l’utilisation des ressources.
C’est dans le cadre de ce «pacte vert» ou «green deal» pour les initiés, que s’élabore la législation européenne sur l’utilisation durable des phytosanitaires. «Un texte fixant des objectifs de réduction des pesticides de moitié d’ici à 2030, et visant à interdire leur utilisation dans des zones sensibles» rappelle Christiane Lambert. Mais dans ce processus long, «tout se joue dans les trois derniers jours» souligne-t-elle.
Et cette fois, «à force d’amendements poussés par la représentation agricole» aux fins de «limiter l’impact sur l’économie des exploitations», «même certains des députés européens, qui souhaitaient un texte ambitieux, ont décidé de voter contre la proposition». Ainsi, «le Parlement européen a majoritairement rejeté, mercredi 22 novembre, la proposition de règlement sur l’utilisation durable des pesticides, à 299 voix contre, 207 pour et 121 abstentions». «Une très bonne nouvelle pour le Copa» qui a «ferraillé très très dur face à des Verts trop gourmands», s’est félicitée Christiane Lambert. Et la proximité des échéances électives de 2024 ne permettra pas à la Commission de présenter une nouvelle version du projet de règlement.
Évolution trop lente
L’issue du processus n’est pas toujours favorable aux positions du lobbying agricole. C‘est le cas de la demande professionnelle qui invite Bruxelles à «reconduire la dérogation de mise en culture des jachères», mise en place dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Comme le déplore le syndicat majoritaire, «l’Union européenne refuse de prolonger cette dérogation à la règle d’obligation de mise en jachère d’au moins 4 % des terres cultivables».
Instaurée lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, puis reconduite pour un an en juillet 2022, cette mesure vise à accroître la production agricole, afin de compenser en partie le recul des exportations ukrainiennes.
Pour les invités de la Frsea Grand Est, la décision de Bruxelles est «incompréhensible au regard de l’actualité, et de l’atteinte d’objectifs de souveraineté alimentaire mis en évidence avec la crise du Covid». «La Russie menace encore clairement la sécurité alimentaire mondiale», ajoute un élu de la Frsea.
De cet exemple nourrissant la défiance des agriculteurs à l’encontre de l’UE, Christiane Lambert livrera une lecture crue de l’état d’esprit de la gouvernance des Vingt-sept. Et de témoigner d’une «évolution trop lente du logiciel des élus européens». Elle ajoute, «production et souveraineté alimentaire sont essentielles dans la construction à venir de la politique agricole. Sans nier le fait que nous devons travailler mieux, il est détestable d’avoir en face de nous des gens sourds à l’évolution du climat ou de la géopolitique». Un décalage motivant la «nécessité d’une stratégie dans la préparation du scrutin de 2024».
Rencontrer les candidats
«Il faut rencontrer les candidats» prône la présidente du Copa. Elle insiste sur la nécessité d’une stratégie alliant «production, innovation, investissement, développement et installation». Un programme que les élus de la Frsea Grand Est ont bien intégré. Ils porteront ces messages avec l’ambition d’une campagne qui devra laisser une place à l’agriculture. Rien d’anormal pour un secteur économique pesant plus du tiers du budget de l’Union à vingt-sept.