Transmission, coût du foncier, financement. Dans le cadre familial, ou pas. Avec recours aux aides, ou sans. Focus sur les multiples facettes de l’installation, à l'occasion de l'assemblée générale des Jeunes Agriculteurs de Meurthe-et-Moselle. A l’heure où se profile un basculement de génération en agriculture. Et où un tiers des futurs retraités ne se connait pas de successeur.
La Meurthe-et-Moselle a perdu 8 exploitations sur 10 entre 1970 et 2020. Sur la même période, la SAU moyenne est passée de 28,8 ha à 130,4 ha. En 2022, 84 installations ont été concrétisées sur le département : 43 en polyculture-élevage, 15 en grandes cultures, 6 en élevage bovin et 20 dans d’autres spécialisations. Seulement 35 se sont réalisées avec recours aux aides. Même si une certaine dynamique a été observée en 2023 (chiffres non encore disponibles), la tendance de la main-d’œuvre observée sur le territoire montrait que 23 % des exploitants actifs étaient âgés de 60 ans et plus. Et parmi eux, le tiers imaginait une reprise par un coexploitant, la famille ou un extérieur ; un autre tiers n’envisageait pas d’arrêter son activité ; 5 % se résignaient à la disparition au profit de l’agrandissement et plus grave : 30 % ne «savaient pas».
Donation-partage en progression
Lors de la table ronde de l’AG de JA 54, François-Etienne Mercier, responsable installation à la Chambre d’agriculture, a partagé des indicateurs économiques parlants. Entre 2019 et 2023, le coût de la reprise moyenne a progressé de 20 %, passant de 213.000 € à 246.000 €. Avec une très grande amplitude entre des tailles très modestes et de grosse structures. La polyculture se situe plutôt dans la tranche d’évolution de 240.000 € à 320.000 € sur la même période, dans un contexte inflationniste des coûts.
Les jeunes agriculteurs s’installent, soit dans le cadre familial, soit en dehors. La donation-partage est en progression ces dernières années. «Attention au partage équitable, prévient François-Etienne Mercier. Et c’est cruel pour un parent de se priver de son capital, au moment de sa retraite». En dehors de la famille, c’est le recours à l’emprunt bancaire. Cette question de la reprise pourrait ne pas constituer un problème «si nous étions payés pour notre travail, considère l’élu. L’agrandissement doit être valorisé par la vente de nos produits, car nous passons bien plus que 35 heures sur nos fermes».
Interrogée sur le prix des terres, la vice-présidente de la SAFER Grand Est, Sophie Lehé, considère «qu’il n’existe quasiment plus de différence entre les biens libres et les biens loués » longtemps minorés de 30 %. La spécialiste du foncier indique que « globalement, le prix moyen de la terre ne bouge pas. Mais les prix maximum s’envolent». Stéphane Lemoine, responsable expertise patrimoniale agricole au Crédit agricole de Lorraine, confirme «l’augmentation de l’intensité capitalistique de la reprise des fermes ».
Actifs improductifs
Avec une valeur importante de la résidence principale qui alourdit la reprise, sans oublier un certain nombre d’actifs improductifs à racheter. Le jeune hors cadre familial peut se heurter à la difficulté supplémentaire de se voir vider une partie de l’actif économique six mois avant la transaction. La banque verte distribue des prêts JA qui introduisent une modulation avec une année blanche possible. La possibilité d’allonger de 3 à 5 ans le remboursement existe depuis 2016. «Elle est peu utilisée», observe Stéphane Lemoine.
Le secrétaire général de JA Grand Est, Augustin Wach, rappelle la nouvelle aide pour l’Accompagnement à l’installation transmission en agriculture (AITA) dotée d’un budget annuel venant d’être porté à 20 M€. Elle permet notamment des actions de formation, de conseils, de communication et d’information. JA national rencontre régulièrement le ministère de l’Economie pour faire avancer les dossiers. « Nous poussons le droit à l’essai et la dégressivité automatique de la taxe foncière», illustre Augustin Wack, avant de rappeler le nouveau programme à l’installation régionale (AIA), ainsi que le fonds de portage mis en place avec la SAFER et la Région.
Cession de parts au salarié performant
Le cinquième de la SAU de Meurthe-et-Moselle va changer de mains en dix ans, prévoit Sophie Lehé qui développe le rôle d’accompagnement foncier que peut jouer la SAFER, dans le cas du hors familial. Un fonds ELAN a été mis en place par l’Etat l’an dernier, mais il n’a pas encore été abondé. D’autres possibilités de financement existe par les foncières ou les GFA investisseurs, notamment pour les opérations photovoltaïques, pour laquelle la vigilance est de mise.
Stéphane Lemoine alerte sur la difficulté de capter de la valeur ajoutée en circuits courts, au-delà d’une certaine taille. La main-d’œuvre devient le facteur limitant. Le banquier met, par ailleurs, en garde contre le suréquipement en matériel, et prône la rationalisation. Il loue les exemples de transmission hors cadre familial réussie, dans des exploitations sociétaires à vocation élevage par le biais de cession de parts à son salarié performant, ayant déjà fait ses preuves sur l’exploitation.
La conclusion revient à François-Etienne Mercier qui milite pour «des installations intégrant une modernisation de l’outil. Investir pour que l’entreprise ressemble au jeune, pour un travail moins pénible et plus acceptable ». Ce qui manque ? Un véritable projet politique. «Nous avons beaucoup de jeunes en formation agricole. Nous communiquons sur un métier passion. Il nous manque une vision d’avenir et un peu de prix ».