Alors que la Fnsea et les Ja appellaient leurs réseaux à se mobiliser, dans le Grand Est, le syndicalisme majoritaire accueillait, mercredi 13 novembre, le nouveau préfet de Région et son nouveau Draaf.
Vent frais, «la bise souffle» ce matin du 13 novembre sur la commune de Foulcrey (Moselle), mais accueil «bon enfant» pour Jacques Witkowsky et Pierre Bessin. Tous les deux ont pris leurs fonctions fin octobre, début novembre. Et dès son arrivée, le nouveau préfet de Région avait approché le président de la Frsea Grand Est pour une première rencontre avec la profession agricole.
C’est l’exploitation de polyculture-élevage de la famille Rousselle -deux frères et leur épouse- qui a servi de cadre pour cette matinée de travail. Vaches allaitantes limousines, troupe ovine Île-de-France -Suffolk et 320 hectares dont deux tiers en herbe, auxquels s’ajoute une activité de production d’énergie photovoltaïque ont servi de support pour aborder l’actualité de l’agriculture régionale.
Contexte météorologique calamiteux, moisson décevante, campagne fourragère médiocre et situation sanitaire alarmante, ont ponctué les échanges entre les agriculteurs et les représentants de l’État. Le sujet de la prédation, plusieurs départements du Grand Est sont aujourd’hui impactés, a été illustré par la triste expérience des éleveurs. Leur troupe de brebis a déjà subi «deux attaques de loups». C’était en 2019. Au-delà du préjudice économique, les éleveurs témoignent «d’un traumatisme» encore prégnant aujourd’hui. Et si leurs animaux sont depuis épargnés, un autre éleveur de la commune voisine rapporte «une attaque plus récente, sur des bovins» et une présence du prédateur relevée «encore aujourd’hui grâce à des pièges photographiques».
Situation sanitaire alarmante
Impossible de ne pas aborder l’épidémie de la «maladie de la langue bleue», qui a littéralement explosé sur notre territoire. Le nouveau sérotype 3 du virus de la fièvre catarrhale ovine (Fco) a été détecté pour la première fois en Europe en septembre 2023, aux Pays-Bas. Depuis, la vague de cette maladie vectorielle colonise les pays européens comme la France cet été.
Tous les éleveurs présents, comme les services de l’État, ont témoigné de «la nécessité de vacciner les troupeaux». Mais plusieurs «regrettent les approximations dans l’accompagnement des éleveurs sur la stratégie vaccinale». Pour exemple, les frères Rousselle ont tardé à inclure les béliers dans les effectifs à vacciner. Ce choix, établi «sur les conseils recueillis dans la filière», «n’a pas été le bon». De façon générale, la profession attend «un retour d’expérience de leurs collègues d’Europe du Nord». Les services de l’État ont été sollicités dans ce sens.
Reste que le message essentiel porté par tous prône la vaccination, avec pour le Grand Est une préoccupation au-delà du sérotype 3, une demande d’accès gratuit aux vaccins pour tous les éleveurs concernant le sérotype 8 et la Mhe. La profession souhaite pouvoir «se protéger efficacement, au-delà de la zone tampon vaccinale censée limiter la progression de la Mhe». En France, les recommandations de l’Anses combinent un nombre minimum d’animaux vaccinés dans une zone vaccinale de 50 km de largeur le long de la limite interne de la zone régulée. Soit une diagonale coupant la France en deux de la Manche aux Bouches-du-Rhône. «Une protection insuffisante», craignent les éleveurs du Grand Est.
Accompagnement insuffisant
Critiques sur l’accompagnement des éleveurs en matière de conseil, les représentant professionnels ont également alerté sur «une indemnisation nécessaire des pertes directes et indirectes dues à la Fco», fustigeant «la faiblesse de l’enveloppe budgétée par l’État». «Les 75 millions ne vont pas suffire» préviennent les éleveurs, «d’autant plus avec l’ouverture du dispositif au sérotype 8 en plus du 3». Jacques Witkowsky s’est montré très attentif, rapportant par ailleurs avoir «saisi le cabinet du ministre» pour considérer la question des pertes indirectes. L’exemple du travail d’évaluation des pertes réalisé par les Ardennes interpelle. Pour ce seul département, l’ardoise se monte déjà à 13 millions d’euros.
Directive nitrates
Dans la seconde partie de matinée, Fabrice Couturier, président de la Frsea, et Xavier Bailly, président de JA Grand Est ont proposé une séquence plus studieuse en particulier sur les sujets environnementaux.
Pour entamer ce copieux chapitre Jacques Witkowsky, en présence de Marc Hoeltzel le nouveau directeur de la Dreal, a livré la réponse des services de l’État à une demande formulée par le syndicalisme majoritaire et le réseau consulaire afin de déroger aux dispositions du nouveau programme de la directive nitrates.
Motivée par les conditions climatiques hors normes de cette année, la profession a sollicité des calendriers de travaux adaptés. Le préfet de Région a confirmé que «les préfets de chacun des dix départements ont donné une suite favorable et que les arrêtés formalisant cette décision ont tous été signés».
Un point sur l’avancement de la réflexion quant à «l’utilisation de l’orge d’hiver comme culture à vocation énergétique» a permis d’évoquer la piste «d’une évolution du Par 7». Elle conduirait à l’autorisation «d’utiliser des semis d’orge et de blé à des fins de Cive», tout en laissant «la possibilité de choisir ultérieurement la destination de ces cultures d’hiver».
Plus généralement, la profession agricole attend «de la flexibilité et de la réactivité» face aux événements du climat, pour «déroger rapidement aux prescriptions du programme d’action».
En charge du dossier “Environnement” à la Frsea, Jérémy Jennson pointait les «injonctions contradictoires faites à la profession agricole». «L’État attend de nous le double de méthaniseurs sur le territoire, mais ne nous donne pas les moyens de gérer de façon satisfaisante les digestats», dénonce le président de la Fdsea de Meurthe-et-Moselle.
Appelant à une forme de vigilance afin «d’éviter d’être dans la dérogation permanente», Jacques Witkowsky rappelait le «nécessaire respect du cadre fixé par Bruxelles». Cependant, la réalité du contexte climatique avait conduit les négociateurs du Par 7 à une forme d’anticipation de cette problématique.
Ainsi, la Région Grand Est serait la seule à bénéficier «d’un mécanisme de gestion des événements agro-climatiques exceptionnels», souligne Jacques Witkowsky. Et de proposer d’identifier en amont les situations potentiellement problématiques ainsi que les solutions temporaires à y apporter. Ce travail à réaliser au niveau régional serait communiqué au niveau des Coderst départementaux afin de favoriser l’acceptation des dérogations à venir. Les travaux de ce groupe devraient débuter dès le printemps prochain selon un courrier signé du préfet Witkowsky et adressé aux élus agricoles.
Zones humides
Sur la base de l’exemple «du département de l’Aube, particulièrement impacté par les conséquences de la mise en œuvre de la Bcae 2 dans le périmètre des zones humides», Fabrice Couturier a partagé avec les représentants de l’État la grogne de la profession sur «la méthode et le fond» du chantier de cartographie des zones humides. Les documents réalisés «sans concertation avec la profession» sont pointés du doigt par les agriculteurs. Après avoir multiplié les exemples d’incompréhensions et d’inquiétudes, les syndicalistes ont poussé la nécessité de remettre l’ouvrage sur le métier «en associant la profession».
Entretien des fossés et cours d’eau, cahier des charges de la plantation et de l’entretien des haies ont été au menu de ce copieux chapitre environnemental.
La réunion s’est clôturée sur la présentation d’un cahier de doléances de la profession. Xavier Bailly, président des Jeunes Agriculteurs du Grand Est, a officiellement communiqué le recueil faisant l’inventaire des mesures conjoncturelles et de trésorerie, des pistes de simplification administrative drastique, des propositions de modifications législatives et des incohérences européennes et mondiales dénoncées par le syndicalisme majoritaire. Les demandes de la Fnsea et des Ja sont maintenant sur la table et les moyens d’action identifiés. Restent les prises de décision du gouvernement que les agriculteurs vont aller chercher dans la rue dès la semaine prochaine.