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« Le besoin d’un récit collectif » pour Dominique Seux

Dominique Seux : « En France, nous privilégions trop les grands groupes ». Photo : Jean-Luc MASSON.
Dominique Seux : « En France, nous privilégions trop les grands groupes ». Photo : Jean-Luc MASSON.

Le patron du quotidien économique Les Echos, Dominique Seux, rêve d’inventer un nouveau modèle. « Celui d’un pays décarboné, sobre et solidaire ». Les ingrédients semblent réunis, « il existe énormément d’innovations en France. Réflexions partagées lors de l’assemblée générale de Cerfrance Adheo.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a révélé et amplifié la volatilité des cours des matières premières et de l’énergie. De quoi questionner les chefs d’entreprise, à l’heure d’imaginer leur stratégie pour l’après-crise ». En observateur avisé du monde économique, Dominique Seux ne dément pas son état d’esprit revendiqué « d’éternel optimiste ». Devant le parterre réuni par Cerfrance Adhéo, le directeur délégué du quotidien Les Echos, décrit un contexte caractérisé par « cinq donnes nouvelles ».

La mondialisation à un tournant

Depuis 1989 et l’ouverture à l’Est, la disparition des frontières avait conduit à ce que l’économie dirige le monde. C’est fini. « La politique redevient supérieure à l’économie » observe Dominique Seux. L’heure est à la « relocalisation » et au raccourcissement de la chaîne de valeur. La bataille fait rage entre régimes autoritaires et démocratiques pour obtenir la palme du modèle efficace ; elle se traduit par une autre guerre, celle de la communication, alimentée par de fausses informations. Deuxième postulat « le système économique de la mondialisation arrive à un tournant ». L’éditorialiste de France Inter ne croit pas à la « démondialisation ». Pour lui, les échanges resteront à un niveau élevé, mais ils se modifieront. Cette « nouvelle mondialisation » se pratiquera « entre amis, sur une base contractuelle entre pays ou régimes ayant des valeurs en commun ».

Le troisième phénomène indéniable est le retour de l’inflation. Dominique Seux estime que la France n’est pas la plus exposée, même s’il concède que la hausse des prix va demeurer autour de 4 à 5 %. Si les pénuries post Covid vont se résorber, celles concernant l’énergie sont durables, car le modèle va changer. Il va falloir aussi régler la « facture du quoi qu’il en coûte ». Les banques centrales vont concéder une remontée des taux d’intérêt, considère-t-il. L’idée est de privilégier la croissance, en acceptant de l’inflation. « Est-ce grave ? questionne l’intervenant. Non, car les acteurs économiques apprécient un peu d’inflation, tant qu’elle est contenue ». Alors, est-ce que les chefs d’entreprise doivent augmenter les salaires ? « La réponse n’est pas simple, sur le plan macroéconomique, c’est non, pour maintenir la compétitivité ». Mais Dominique Seux encourage plutôt « ceux qui peuvent le faire, ne doivent pas hésiter ».

« Bonheur privé, malheur public »

La quatrième grande tendance est dictée par le réchauffement climatique. « Il va percuter tous vos métiers » assure le journaliste, en rappelant les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, à l’échéance de 2040. Il mise, pour y parvenir, sur les progrès technologiques et les économies d’énergie et parie sur un plan dans les prochains mois, comparable à ceux vécus dans les années 70. Pour parvenir à l’objectif, Dominique Seux considère qu’il faut miser plus sur l’adaptation que sur la limitation « car cela passe par des investissements, donc une bonne nouvelle ».

Le dernier angle d’analyse est la situation actuelle de la France. « Son problème majeur est son moral, pas son économie » raille l’éditorialiste. Un sociologue transcrit cet état d’esprit par la formule « bonheur privé, malheur public ». Ce qui pêche, pour Dominique Seux « c’est l’absence d’un récit collectif ». Il rêve d’inventer un nouveau modèle « celui d’un pays décarboné, sobre et solidaire ». Les ingrédients semblent réunis « il existe énormément d’innovations. Depuis 2015, il se passe quelque chose en France, la nouvelle génération émerge. Le numérique permet des gains de productivité. La réactivité des salariés a été prouvée, au moment du basculement en télétravail, au début du confinement Covid ».

De manière générale, l’économiste considère que les chefs d’entreprise ne sont pas assez audibles. « En France, y compris dans les médias, nous privilégions trop les grands groupes ». Or l’inventivité se situe souvent dans les Pme. Dominique Seux fustige le procès sur le néo-libéralisme « c’est grotesque, car nous avons énormément de dépenses publiques ». Il part aussi en croisade contre « les décroissants qui se moquent du monde » et considère qu’il nous faut travailler plus. Et de terminer sur un indicateur en forme d’espoir : « le taux de marge des entreprises françaises s’est situé à 34,3 %, en 2021, le meilleur depuis 1950 »…